samedi 28 mars 2015

Pascal Meier : l’Agneau de Dieu dans l’Apocalypse

Conférence

du 18 juillet 2010 à la chapelle des Pénitents
lors de l’exposition à l’Abbaye de la Chaise-Dieu en Auvergne

Pascal Meier, Victoire de l'Agneau (Ap 17, 14), folio 52.   
Pigments avec liant gouache et encre sépia sur papier d'Arches,
format : 460 x 290 mm. 
Extrait de L'Apocalypse de Jean enluminée (droits réservés).



Qui suis-je pour traiter pareil sujet ? Ni exégète, ni historien, ni philosophe, ni théologien confirmé, je ne puis parler qu’en simple « artiste de campagne », sans feindre des compétences que je ne possède pas. Si on m’avait dit, il y a dix ans de cela, que je réaliserais autant de miniatures dans un laps de temps relativement court, et de surcroît que j’exprimerais par écrit un témoignage de l’Apocalypse de Jean à travers mes enluminures, j’aurais eu bien de la peine à y croire. D’autant plus qu’un livre a été édité avec l’ensemble de mes miniatures. Quand on y réfléchit bien, cela me dépasse, et je réalise du coup que cela devait se faire ainsi malgré les doutes et les aléas de la vie.


A la découverte d’un art

Toute œuvre d’art est un chemin ; un chemin vers ce à quoi nous tendons aussi bien qu’un chemin vers soi, peu importe le mode d’expression. J’ai découvert l’art mozarabe provenant du nord de la péninsule hispanique alors que j’avais 23 ans, en 1993. Le terme mozarabe vient du mot « musta’rib » (arabisé), désignant par là les chrétiens d’Espagne vivant dans un contexte islamique entre 711 et 1492, date à laquelle s’achevait entièrement la « Reconquista », c’est-à-dire la reconquête de toute l’Espagne par les chrétiens.

C’est lors de ma deuxième année à l’ECAL (l’Ecole Cantonale d’Art de Lausanne) que je me suis rendu à la bibliothèque universitaire de Dorigny pour scruter quelques ouvrages suggérés par un ami. Sur place, je me suis dirigé vers l’emplacement des livres sur l’enluminure et les miniatures du Moyen-Âge. Là, j’ai découvert un ouvrage qui m’a beaucoup frappé par la beauté qui se dégageait des miniatures. La force des couleurs et leur agencement dans l’espace ainsi que la stylisation des formes humaines ont particulièrement attiré mon attention. Il s’agissait du « Livre de Feu, l’Apocalypse et l’art mozarabe » d’Henri Stierlin. À travers ces pages, c’est sur chaque image que je me suis arrêté quelques instants comme si elles répondaient à mes attentes, plus encore, à ce qui me tiendra à cœur pendant des années, à vie même.


Beatus et l’art mozarabe

Pour parler de l’art mozarabe et de son rôle particulier dans la vision apocalyptique, il est impossible de ne pas parler d’un moine, d’un certain Beatus de Liébana. On sait peu de chose de ce moine bénédictin qui vécut à la seconde moitié du VIIIème siècle au cœur des monts cantabriques, dans les Asturies. Il aurait été prêtre et même abbé au monastère de saint Martin de Turieno, aujourd’hui Santo Torribio de Liébana. C’est protégé par un relief tourmenté des montagnes, où les troupes islamiques ne parvinrent guère à s’implanter, que ce moine prit refuge pour écrire son long Commentaire de l’Apocalypse de Jean, respectivement en 776, en 784, et en 786 par une version augmentée du Commentaire de Daniel donné par Jérôme (IVème siècle), auteur de la fameuse traduction latine de la Bible : la « Vulgate ». Le Commentaire est écrit en latin d’après une version antérieure à la « Vulgate » provenant d’Afrique du Nord. Il est composé des versets de l’Apocalypse divisés en douze livres intitulés « Storiae » suivi de « l’Explanatio », autrement dit du Commentaire. Entre un passage de l’Apocalypse et son commentaire est intercalée une miniature illustrant le texte biblique. Le Commentaire est constitué de nombreuses et parfois longues citations d’écrits antérieurs tirés de manuscrits rédigés par des Pères ou des Docteurs de l’Eglise durant les premiers siècles du christianisme. On y trouve des personnalités telles qu’Ambroise, Augustin, Grégoire-le-Grand et Isidore de Séville.


     
Emeterius et la moniale Endé,  
Les deux témoins (Ap 11, 3-6), Beatus de Gérone, vers 975.
Source de l'image : Wikimedia Commons.



Les miniatures sont souvent traitées en pleine page, voire en deux pages entières, retraçant avec fidélité les différentes scènes de l’Apocalypse. L’importance accordée au dernier livre du Nouveau testament dans ce nord de l’Espagne est considérable compte tenu du nombre de manuscrits qui nous est resté, vingt-sept enluminés sur trente et un, et de son étendue à travers le temps, soit du IXème jusqu’au début du XIIIème siècle. Certains de ces manuscrits sont datés et signés, faits rarissimes compte tenu que l’anonymat était plutôt de rigueur pour toute œuvre dédiée à la gloire de Dieu. C’est ainsi que le nom de Endé apparaît comme étant l’une des premières à pouvoir être identifiées parmi les femmes artistes de l’histoire de la peinture occidentale. Cette moniale a contribué avec un moine du nom d’Emeterius pour un des plus prestigieux codex (livre relié) du Commentaire de Beatus, celui de Gérone daté de 975.


Magius, 144 000 élus marqués du sceau divin (Ap 7, 1-8),
        vers 962.
Source de l'image : Wikimedia Commons. 


Le style de ces miniatures n’a jamais été clairement défini ; bien qu’il ait des sources wisigothiques, l’analyse laisse percevoir des influences coptes, ainsi qu’irlando-saxonnes et musulmanes, mais dans une moindre mesure. Il apparaît que l’art précarolingien d’outre-Pyrénées a contribué de façon plus essentielle à la formation du style dit « léonais », dont mes miniatures ont pris vie, que les influences d’un art non chrétien d’Andalousie. Isolé du reste de l’Europe, le développement de cet art, qui ne se trouvera nulle part ailleurs en Occident, peut être qualifié de « provincial » malgré la richesse ornementale et l’emploi de l’or et de l’argent dans certains manuscrits.

Pour ma part, j’ai pris comme modèle principaux le Commentaire de Beatus peint vers 962 par « l’archipeintre » Magius se trouvant actuellement à la Pierpont Morgan Library à New-York, celui peint par Endé et Emeterius (disciple de Magius), en 975, codex appartenant à la cathédrale de Gérone, et celui peint par Facundus réalisé en 1047 pour le roi Ferdinand Ier et la reine Sancha de Castille, conservé à la Bibliothèque Nationale de Madrid.



    

Facundus, Croix de victoire de l'Agneau de Dieu ou Croix d'Oviedo,
pour le roi Ferdinand Ier et la reine Sancha de Castille, 1047.
Source de l'image : Wikimedia Commons.



L'approche de l’Apocalypse et les aspects pratiques

Au début, je me suis documenté sur cet art en reléguant au second plan le livre de l’Apocalypse qui bien souvent nous laisse des traces de crainte plutôt que d’espérance. J’avais à ma disposition un « tas » d’images très inégales dans la qualité des reproductions. Certaines étaient en noir et blanc et de bien petites tailles. Toutefois, j’ai pu constater que les miniatures indiquant un même passage de l’Apocalypse n’étaient pas toutes pareilles, bien que depuis Magius, une sorte de tradition iconographique s’était comme instaurée. Cela m’a permis de déterminer un choix iconographique en accord avec mon interprétation des images liée au texte biblique. Ainsi, j’ai pu approfondir le texte de l’Apocalypse de Jean en lien avec les images que j’avais sous les yeux. J’ai contemplé l’Apocalypse à travers ces miniatures qui me permettaient, à ma grande stupéfaction, de mieux lire cette révélation, ou dans tous les cas, de porter un regard différent de ce que j’avais reçu comme enseignement jusque-là. J’ai lu peu de livres sur le sujet, afin de privilégier une interprétation de l’Apocalypse intégrée davantage dans la prière et la foi vécue dans la communion eucharistique. Sans une approche d’écoute avec Celui qui vient à notre rencontre, il me paraît difficile d’approcher l’Apocalypse avec les yeux de la « chair » seulement. L’écoute fait appel au silence pour permettre le dialogue avec ce Dieu qui ne veut pas notre perte, ni pour condamner, mais faire face à nos propres limites et à nos contradictions. Mes miniatures sont un témoignage de ce qui vient d’être évoqué ainsi que ma lecture de l’Apocalypse dont j’invoquerais, en particulier, l’importance de la présence de l’Agneau de Dieu.

Après un temps de recherches, d’analyses, de lectures, d’esquisses et de méditations intégrées dans la prière à l’écoute de l’Esprit Saint, je me suis mis à la tâche. J’ai choisi un support très simple : du papier d’Arches pas trop épais et souple à l’emploi. J’ai tout d’abord commencé par le tracé des formes au crayon graphite, puis à l’encre vermillon. Cette étape m’a permis d’éviter de perdre le tracé déjà établi lors de la pose des couleurs à la tempera (mélange de pigments avec du jaune d’œuf et un peu d’eau). En scrutant certaines miniatures peintes du Xème siècle, j’ai pu constater un contour du dessin en rouge avant la mise en couleur. Ce qui veut dire que les formes dessinées viennent avant la pose des couleurs.

Tout comme pour l’icône, l’intervention de la forme vient avant la couleur, afin de rendre pleinement intelligible l’image. Il s’agit davantage d’une écriture que d’une peinture, d’une écriture qui devient vision de la Parole. Après quoi, les couleurs sont déposées en aplat en commençant par les fonds, puis par les vêtements, les détails et enfin par les visages, les mains et les pieds. Un rehaut bleu clair (composé par le mélange de quatre pigments différents) et parfois en or est déposé en dernier sur une bonne partie des vêtements et des ailes. Au final, je retrace toutes les formes à l’encre sépia ou plus généralement à l’eau de noyer avec l’aide d’une plume à bec.

Pour les encadrements, je reprends un motif qui se trouve à l’intérieur de ma miniature ou déjà existant dans l’une des miniatures mozarabes. Chaque cadre à son motif propre et ne ressemble pas à un autre. Les coins de mes miniatures sont formés d’une pointe entrelacée ou en forme de cœur. Cet apparent décor des coins a pourtant un sens bien défini : ces pointes, à chaque angle du quadrilatère de la miniature, permettent d’ouvrir davantage notre regard sur la vision que nous offre l’image révélant le message apocalyptique.        
     
    
Beatus de Valladolid, Les quatre cavaliers (Ap 6, 1-8),
       vers 970.
      Source de l'image : Wikimedia Commons.           
         
   
L' Apocalypse   
                                                              
L’Apocalypse de Jean est la seule reconnue dans le Nouveau testament alors qu’il existe une kyrielle d’autres considérées comme apocryphes. L’Apocalypse est un genre littéraire qui s’est particulièrement développé dans l’Ancien testament (visions d’Ezéchiel et de Daniel), c’est pourquoi ce dernier à toute sa place dans l’herméneutique de l’Apocalypse de Jean. Bien qu’attribuée à l’apôtre Jean dès le IIème siècle, l’Apocalypse a été aussi vue comme une compilation de textes provenant d’époques et d’auteurs différents. Ceci a été réfuté, d’une part par la parenté indéniable avec les autres écrits johanniques, et d’autre part par la rigueur du plan septénaire qui l’organise comme un tout.

C’est aussi le livre le plus controversé des Ecritures, car il souleva des divergences et des oppositions telles que dans l’Eglise d’Orient son admission dans le Canon sera discutée jusqu’au Xème siècle, alors qu’il fut définitivement accepté en Occident par le décret du pape Damase Ier, en 382. C’est peu dire des difficultés de lecture encore visibles aujourd’hui que l’Apocalypse nous livrent. Ce dernier, n’est-il pas le moins lu des chrétiens qui pourtant se recommande vivement à la lecture : « Heureux celui qui lit et ceux qui entendent les paroles de cette prophétie et qui gardent les choses qui y sont écrites ! Car le temps est proche » (Ap 1, 3). Car il faut le préciser, « L’Apocalypse » est la transcription d’un terme grec Apocalupsis qui lui-même traduit le mot hébreu nigla lequel signifie : mise à nu, enlèvement du voile ou révélation. Avant d’être seulement une prophétie, l’Apocalypse est avant tout une révélation, mais aussi une vision consignée dans un livre, dont les scènes et les nombres sont autant de symboles des « idées » (archétypes) que Dieu veut bien dévoiler. Le dernier livre de la Bible commence par ces mots : « Révélation de Jésus-Christ, que Dieu lui a accordée afin de montrer à ses serviteurs ce qui doit bientôt arriver » (Ap 1,1), comme on révélerait un monument en le découvrant d’un voile, afin de le montrer aux yeux de tous. Le texte présente la Personne du Christ à son retour glorieux sur terre (la parousie) et les événements l’entourant (l’eschatologie).

L’étymologie d’un mot en dit parfois long sur sa signification, et c’est le cas du terme « Apocalypse » bien trop souvent employé comme la fin catastrophique du monde comme réduit à néant ou par un nouveau déluge tel que le film 2012 de Roland Emmerich nous projette. Mais après une lecture plus approfondie, en laissant aussi le cœur davantage s’ouvrir - se dilater - dans l’approche de la rencontre avec ce Dieu d’amour, se révèle à nous un monde restauré en son Créateur comme une nouvelle naissance. L’Apocalypse, pourrait-on dire, déchire le voile entre ciel et terre, pour laisser voir un monde transfiguré par la présence d’un Dieu qui sera « tout en tous » (cf. 1 Co 15,28 et Col 3,11). Mais quand cela se passera-t-il ? « Personne ne sait quand viendra ce jour ou cette heure, pas même les anges dans les cieux, ni même le Fils ; le Père seul le sait » (Mc 13,32). Il nous est donc impossible de savoir quand ce moment viendra. En revanche, il nous est demandé de veiller, de rester éveillé, car c’est comme un voleur dans la nuit que le Christ reviendra, aussi soudainement qu’un éclair.

Parmi les nombreuses interprétations, quatre peuvent être retenues comme les plus courantes. Il s’agit des thèses suivantes : celle « prétériste » (avant) qui considère l’Apocalypse comme un livre d’histoire retraçant dans la langue métaphorique juive les événements de la guerre de Judée entre 66 et 73, celle « idéaliste » qui voit l’Apocalypse comme un combat entre les forces du bien et les puissances du mal où tout (ou presque) est symbole, celle « historique » (présentiste) qui fait le rapprochement de l’actualité avec les événements décrits dans le texte et celle « futuriste » qui préfère voir dans ce livre une sorte de peinture des événements à venir, autrement dit une prophétie. Pour ma part, bien que plus proche de la thèse « idéaliste », je vois davantage la venue du Christ dans l’aujourd’hui de l’histoire et dans notre propre histoire, au cœur même de notre vie. Même si l’Apocalypse de Jean apparaît dans une période historique bien définie par les troubles et les violentes persécutions contre l’Eglise naissante, ce livre n’est pas moins une révélation de tous les temps et pour tous les temps. L’interprétation historique du temps de la glorieuse Rome et du culte des empereurs ne suffit pas pour expliquer l’Apocalypse. La portée de ce livre ne peut s’arrêter là, car il met en avant des valeurs éternelles sur lesquelles peut s’appuyer la foi des fidèles de tous les temps, et donc du nôtre. L’Apocalypse rassemble ce qui était hier à aujourd’hui dont le futur dépend. Je m’explique. Le « hier » est la venue du Christ dans le monde s’inscrivant dans l’histoire par l’Enfant qui va naître en Marie et qui ne s’élèvera que dans l’abaissement complet de la Croix, l’ « aujourd’hui » est la venue du Seigneur dans la liturgie par sa présence sacramentelle dans le pain et le vin qui deviennent Corps et Sang du Christ, et, le « futur » est la venue du Royaume de Dieu qui peut déjà se vivre au-dedans de nous (cf. Lc 17,21).

« Comme tous meurent en Adam, de même tous revivront en Christ ; mais chacun à son propre rang : Christ est les prémices, puis ceux qui sont à Christ ressusciteront à son avènement. Ensuite viendra la fin, quand il remettra le Royaume de Dieu, le Père, après avoir détruit tout empire, toute domination et toute puissance » (1 Cor 15, 22-24). Et c’est cela qu’annonce l’Apocalypse : la résurrection a été accomplie en Jésus et elle chemine déjà en chacun. Tout comme la parabole de la plus petite de toutes les semences (cf. Mt 13, 31-32), le Royaume des cieux est déjà planté dans le milieu du monde ; il ne cesse de grandir même si nous ne le voyons pas. Et ce qui au fond est détruit, ce n’est pas l’homme en tant que tel, mais tout ce qui peut écraser l’homme, en bref, le mal qui peut dominer l’homme tant extérieur à lui qu’en lui-même.

J’aimerais vous faire partager par mes miniatures une vision du monde où l’homme et son Créateur sont totalement réconciliés dans l’avènement de la gloire du Christ, où les saintes et saints expriment leurs joies au face à Face avec Dieu qui se dévoilera enfin dans sa plénitude, où nous-mêmes sommes mis à nu comme dépouillés et pauvres avec nos mains vides qui tendent pourtant vers Celui qui s’est fait le plus petit pour élever l’homme au-dessus des anges. Anges qui se trouvent omniprésent dans l’Apocalypse, comme si le ciel était tout proche de la terre, comme s’il était dit à l’homme de chercher les choses qui sont en haut (cf. Col 3,1) dans un ardent désir du Royaume des cieux.

Bien que les miniatures mozarabes se voulaient être un enseignement (catéchèse) à méditer des Ecritures, puis également le symbole fort de la résistance chrétienne face aux conquérants musulmans et aux hérésies, l’adoptianisme en particulier qui voyait le Christ comme le Fils adoptif du Père telle une créature reçue par lui lors de son baptême en raison de ses mérites, le but ultime de cet art est bien plutôt de rendre gloire à Dieu, l’inspirateur et le dispensateur de tout don, de toute image et de toute beauté.

Les couleurs vives et éclatantes de mes miniatures ont pour objectif de nous aider à nous détacher quelque peu du terrestre, afin d’avoir accès à d’autres « plans » de réalités. Sans ombre, ces miniatures sont par ailleurs le reflet voilé du Royaume de Dieu, de la Lumière plénière. Ainsi tout sera comme « revêtu » de cette Lumière, voire « habité » de cette Lumière qu’on ne pourra plus désormais ignorer. La description de la « Jérusalem céleste » au chapitre 21 de l’Apocalypse nous le fait découvrir.

Ce livre qui clôt le Nouveau testament, encore trop décrié aujourd’hui comme une prédiction catastrophique d’une fin totale du monde, est bien plus une source d’espérance fondée sur le message du salut universel du Dieu fait homme, de cet Agneau de Dieu vainqueur du mal et de la mort. Cet Agneau innocent et pur est au centre de la Bible comme il est au cœur de la vie du croyant. Cet Agneau humble et doux de cœur est venu habiter la misère de tout homme. Cet Agneau immolé, duquel coule à flot le sang rédempteur, ressuscite pour proclamer au monde le triomphe de l’Amour.


L’Agneau de Dieu dans l’Apocalypse à travers les miniatures exposées

Quand on parcourt l’Apocalypse, on découvre deux « visages » ou aspects différenciés du Seigneur : Jésus est à la fois le Fils de l’homme dans sa gloire au visage aussi brillant que le soleil, et il est en même temps cet Agneau immolé qui a été crucifié. Les six premières miniatures ainsi que les quatre dernières qui sont exposées nous le montrent.

La première miniature est une « ouverture à l’Apocalypse » ; et tout comme une ouverture d’un opéra, elle traduit en image le thème principal qui se retrouvera ailleurs dans la révélation : l’Agneau est parole vivante du Père ; il est le flambeau des âmes en quête d’Absolu. Innocente victime, il est cette flamme d’espérance qui illumine la cité divine dans nos cœurs. Il est cet Agneau pascal sacrifié pour rappeler et célébrer la sortie des Hébreux d’Egypte. Ceci atteste déjà que l’Apocalypse tout entière doit être lue dans la lumière pascale.


Pascal Meier, Le Seigneur au milieu des nuées (Ap 1, 7), folio 5.
Tempera, pigments avec liant gouache et encre sépia
sur papier d'Arches, format : 430 x 285 mm.


La seconde miniature nous dévoile le « Seigneur au milieu des nuées » qui resplendit de la gloire de Dieu. Et tout comme il est monté aux cieux lors de son Ascension, de même le Christ descendra pour apparaître aux yeux de tous dans sa majesté (la parousie/adventus).



 
       

Pascal Meier, Théophanie: l'Agneau mystique (Ap 4, 7-11 et 5), folio 15.
Tempera, coquille d'or et esu de noyer sur papier d'Arches,
format : 410 mm de circonférence.



La troisième miniature se distingue par son ampleur. Elle apparaît comme un sceau qui marque la feuille blanche. Il s’agit d’une théophanie, de l’Agneau sorti vainqueur de la mort et qui se donne chaque jour à l’Eucharistie. Sa composition reprend celle d’un schéma en forme de croix qui présente les cinq pains pris les dimanches ordinaires dans la liturgie mozarabe : une grande hostie au centre (là où est l’Agneau) entourée de quatre petites (là où se trouvent les roues célestes des quatre Vivants avec la forme d’un swastika au centre décrivant un mouvement giratoire). C’est dans une procession circulaire que les vieillards entourent l’Agneau en levant leurs coupes remplies des prières des saints tout en louant le Seigneur avec leurs instruments (des luths ou des cithares). D’autres vieillards se prosternent à terre en adoration vers l’Agneau, centre de toute vie liturgique.



Pascal Meier, Ouverture du 5e sceau: âmes des martyrs
sous l'autel  (Ap 6, 9-1), folio 17.
Tempera, pigments avec liant gouache et eau de noyer
sur papier d'Arches, format : 445 x 305 mm.



Ensuite, on découvre avec émerveillement les « âmes des martyrs sous l’autel », image de l’assemblée des fidèles qui avancent vers l’autel, vers ce Christ qui se donnera entièrement à tous, tant au ciel que sur terre.




Pascal Meier,  Adoration de l'Agneau dans le ciel (Ap 7, 9-17), folio 20.
Tempera, pigments avec liant gouache et eau de noyer sur papier d'Arches,
format : 430 x 600 mm.


Puis viens cette grandiose vision : l’ « Adoration de l’Agneau dans le ciel » où tous les regards se tournent vers l’Agneau ; où tout homme est placé face à la présence de la lumière de Dieu ; où tout homme forme un seul Corps avec l’Agneau de Dieu ; où tout homme se laisse transformer à l’image de la gloire de l’Eternel. De tels hommes sont à même de voir dans les autres le visage de la gloire de Dieu.




Pascal Meier, Ouverture du 6e sceau : ceux qui se cachent
dans les rochers  (Ap 6, 12-17), folio 18.
Tempera et eau de noyer sur papier d'Arches,
format : 480 x 305 mm.



Bien que la miniature de « Ceux qui se cachent dans les rochers » précède normalement celle que je viens d’évoquer, cette ouverture du sixième sceau donne à voir la fuite de ceux et de celles qui ne supportent pas la lumière de la face de « celui qui est assis sur le trône. » Même l’action céleste cesse de s’exercer sur la terre. L’enroulement du ciel, dessiné sur la miniature par un trait rouge finissant en spirale comme un tapis qu’on roule, serait un signe de la fin de la manifestation telle qu’elle existe. C’est l’annonce de la fin des temps et d’un monde nouveau qui se réalise ici.



Pascal Meier, 5e trompette : les espèces de sauterelles et
l'ange de l'abîme (Ap 9, 7-11), folio 27.
Tempera et eau de noyer sur papier d'Arches,
format : 460 x 290 mm.



A la cinquième trompette (qui ne se trouve pas dans cette exposition), surgissent du fond du puits de l’abîme d’étranges créatures néfastes qui peuvent correspondre à nos démons intérieurs. Ce puits de l’abîme n’est autre que notre cœur dominé par le mal laissant échapper des « espèces de sauterelles » qui nous rongent de l’intérieur, à tel point, que le soleil, image de notre esprit, finit par devenir sombre et que nous ne parvenons plus à voir la lumière.  Les hommes, qui viennent à adorer la « Bête montant de la mer et du Dragon », viennent à s’adorer eux-mêmes et se complaisent dans leur propre orgueil. Si on regarde attentivement cette miniature, les adorateurs face à la « Bête » sont comme entraînés vers le bas. Ils sont dans une position de prosternation et leurs mains sont en adoration devant la « Bête » en signe de soumission, mais leur alignement est perturbé. Ces quatre adorateurs déclinent comme s’ils chutaient.



Pascal Meier, Adoration de la Bête montant de la mer
et du Dragon  (Ap 13), folio 36.
Tempera et eau de noyer sur papier d'Arches,
format : 455 x 295 mm.




Pascal Meier, 7e trompette : le Temple ouvert et la Bête
qui surgit de l'abîme (Ap 11, 19), folio 34.
Tempera, pigments avec liant gouache et encre sépia sur papier d'Arches,
format : 450 x 285 mm.



La septième trompette, « Le Temple ouvert et la Bête qui monte de l’abîme », nous amène à voir ce qui peut venir habiter notre cœur : l’Arche de l’alliance étant le symbole de la Présence divine au cœur du Temple ouvert, et la « Bête », étant la sortie de l’abîme du mal qui peut nous souiller de l’intérieur. Etrangement, cette miniature se trouve être au milieu de l’Apocalypse, de la Révélation, comme pour nous dire : que désire ton cœur, par quoi veut-il être habité et que va-t-il en sortir ?

Puis j’aimerais m’attarder sur une vision de la « victoire de l’Agneau », qui je l’avoue, est chère à mon cœur, pour ensuite conclure sur le chapitre 21 de l’Apocalypse dont je vais vous lire un large extrait. Ce choix s’est fixé naturellement, car il indique vers quoi tend l’Apocalypse qui se vit tout d’abord en nous.

Sur cette miniature de la « Victoire de l’Agneau », l’ « Homme-Dieu » n’est pas figuré en tant qu’homme, mais par la figure toujours aussi simple et quelque peu déconcertante de l’Agneau immolé. De cet Agneau qui paraît toujours fragile de par sa constitution et qui présente tout au long des siècles la victime idéale pour les holocaustes, les sacrifices perpétrés par les hommes pour leur salut. C’est cette figure, sous cette forme symbolique, que l’Apocalypse nous donne à voir le Christ sorti vainqueur du Mal, de tout mal. C’est cette figure qui se retrouve dans l’Eucharistie lorsque chaque fidèle prend l’ « Hostie » consacrée. On rend hommage et on demande grâce à cet Agneau lorsque l’Eglise entame l’Agnus Dei. C’est sous cette figure que le Christ prend pitié des hommes et qui leur donne la paix. C’est sous cette figure que le Christ est célébré à la Pâques. C’est sous cette figure que le Christ livre son corps à l’Amour de Dieu et illumine l’Eglise tout entière par sa gloire. C’est encore lui qui parvient à illuminer les cœurs à Dieu. C’est donc cette délicate figure, cet Agneau innocent, qui est livré à la mort. Cet Agneau, qui ne sait se défendre, est pourtant victorieux de ce qui l’a arraché à la vie. Cette figure déconcerte, car c’est cet Agneau, si humble de par sa présence qui ne représente pas la puissance d’un roi, qui triomphe pourtant sur des rois paraissant plus forts que lui. Cette force réside dans son humilité même qui a obéit jusqu’à la mort. Ce Christ s’est fait tout petit parmi les hommes ; il s’est fait tout le contraire des rois de ce monde qui gouvernent par leur puissance, à seule fin de terrasser leurs ennemis et de dominer le monde. Sa puissance : c’est l’Amour. Le Christ domine par son amour, il règne même par son amour. Amour qui a accueilli chaque être qui est venu à sa rencontre au fil des siècles ou qu’il rencontra durant sa présence inscrite dans l’histoire humaine. Amour rencontré, encore maintenant, par l’accueil en nous-mêmes réservé au Seigneur. Amour qui a donné un enseignement qui nourrit encore les cœurs aujourd’hui. Amour qui guérit bien des plaies humaines et des misères de ce monde. Amour qui ne finit pas de se révéler sous la forme de cet Agneau qui sauve une humanité déchue. Dans cet Agneau, qui s’est donné à Dieu pour l’Homme (anthropos) de tout son amour, il y a tout l’amour d’un Père filial pour ses « enfants » que nous sommes appelés à devenir. Son sacrifice est un don de Dieu, un don de la vie. Dieu se donne tout entier, et non partiellement, dans et à travers l’Eucharistie. Il se donne la même chose à chacun, partageant un même amour tant pour le fidèle qui pratique sa foi depuis longtemps que celui qui vient de commencer. Dieu aime tout autant le païen que le chrétien, car c’est vers tout homme qu’il se donne d’un semblable amour. Là réside au fond sa victoire. Et c’est cette « misérable » figure de l’Agneau qui combat sans opposer de résistance, fera fuir par sa douceur, et battra définitivement par son humilité la « Bête » qui incarne le Mal.


 
  
       
Pascal Meier, La Jérusalem céleste (Ap 21), folio 64.
Tempera, or en feuille, alliage doré et eau de noyer sur papier d'Arches,
format : 420 x 420 mm.



« Puis je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n’était plus. Je vis aussi la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête comme une épouse qui s’est parée pour son époux. Et j’entendis une voix forte qui venait du trône, et qui disait : « Voici le tabernacle de Dieu au milieu des hommes ! Il habitera avec eux, et ils seront son peuple ; Dieu lui-même sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux ; la mort ne sera plus, et il n’y aura plus de deuil, ni cri, ni souffrance ; car les premières choses auront disparu ». Celui qui était assis sur le trône dit : «  Je vais renouveler toutes choses ». (Ap 21, 1-5) … et il (un des sept anges) me montra la cité sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, resplendissante de la gloire de Dieu. Son éclat était semblable à celui d’une pierre précieuse, d’une pierre de jaspe, transparente comme du cristal. Elle avait une grande et haute muraille, avec douze portes, et sur les portes étaient douze anges, et des noms inscrits, qui sont les noms des douze tributs des enfants d’Israël : à l’orient, trois portes ; au nord, trois portes ; au midi, trois portes ; à l’occident, trois portes. La muraille de la ville avait douze fondations, sur lesquelles étaient douze noms, les noms des douze apôtres de l’agneau. Celui qui me parlait tenait une canne d’or pour mesurer la ville, ses portes et sa muraille. La ville était disposée en carré, et sa longueur était égale à sa largeur. Il mesura la ville avec le roseau ; elle avait douze mille stades ; sa longueur, sa largeur et sa hauteur étaient égales. Il mesura aussi la muraille ; elle avait cent quarante-quatre coudées, mesure d’homme, qui était aussi mesure d’ange. La muraille était bâtie en jaspe, et la ville était d’or pur, semblable à un pur cristal. Les soubassements de la muraille de la ville étaient ornés de pierres précieuses de toute espèce.  (Ap 21, 10-19)… Les douze portes étaient douze perles, chaque porte formée d’une seule perle. Et la place de la ville était en or pur, semblable à un cristal transparent. Je n’y vis point de temple ; car c’est le Seigneur Dieu tout-puissant qui en est le temple, ainsi que l’agneau. La ville n’a pas besoin ni de soleil ni de la lune pour l’éclairer, et l’Agneau est son flambeau. Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur gloire. Ses portes ne se fermeront jamais pendant le jour ; et là, il n’y aura plus de nuit. On y apportera la gloire et les richesses des nations ; il n’y entrera rien de souillé, ni personne qui se livre à l’abomination et au mensonge, mais ceux-là seuls qui sont inscrits dans le livre de vie de l’Agneau. » (Ap 21, 21-27)

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