samedi 28 mars 2015

Pascal Meier : commentaire sur l'Oméga


Pascal Meier, Oméga (page finale), folio 67.
Tempera, or en feuille, encre sépia et eau de noyer sur papier d'Arches,
format : 390 x 260 mm.
Extrait de L'Apocalypse de Jean enluminée (droits réservés).


L’Oméga, qui clôt les visions de l’Apocalypse comme annonce de la fin du monde tel qu’il existe, est ici orné de l’espérance de la Résurrection, de la glorification du « corps » qui resplendira de la présence de lumière de Dieu, non plus comme un mystère, mais dans sa réalité.

On raconte qu’en Orient, il existe un oiseau au bec très dur, qui par son sifflement, défie et invite le serpent à lui livrer bataille. L’oiseau recouvre de terre les pierres précieuses qui habillent son plumage afin de mieux tromper son adversaire. Sous cet aspect humble, l’oiseau amène le serpent à se montrer négligent. Confiant, ce dernier vient près de l’oiseau, qui tenant sa queue devant sa tête comme un bouclier, attaque dans un premier coup de bec vigoureux la tête du reptile. Celui-ci, déconcerté et étourdi, se voit transpercer la cervelle par un deuxième coup de bec.

Tout comme cet oiseau cache les pierres précieuses que la nature lui a si généreusement prodiguées, le Christ a dissimulé sa nature divine en prenant corps à la nature humaine. De sorte que par son incarnation, le Christ s’est revêtu de l’ « impureté » de notre chair, afin que ce pieux stratagème abuse le « Malin ». Tout comme le bec de cet oiseau tue son ennemi, le Christ « tuera les méchants par le verbe de sa bouche » : nous dit l’Apôtre.

Le récit de cet oiseau est symbolisé dans cette miniature par deux paons se trouvant aux extrémités de l’Oméga. On peut voir le bec des deux paons percer la tête des deux serpents, les queues redressées au-dessus de leurs têtes et leurs pattes ressortir des entrelacs qui forment leurs corps. L’ornementation intérieure de l’Oméga est composée du pelage sous forme d’écailles des serpents et du plumage si spécifique des paons.

Aux yeux des Romains, la beauté du paon rappelait l’idée de la gloire la plus haute et l’emblème de l’incorruptibilité. Cette incorruptibilité fabuleuse du paon fut reprise par saint Augustin dans son ouvrage la Cité de Dieu (L. XXI, 4). Souhaitant mettre cette croyance à l’épreuve, saint Augustin se fit servir du paon rôti lors d’un dîner à Carthage. Il ordonna de réserver les magrets. Après trente jours, il découvrit que la chair ne sentait pas, et qu’au bout d’une année, celle-ci n’était qu’à peine desséchée. Dans ses Etymologies, Isidore de Séville a aussi codifié cette ancienne croyance en parlant de la chair si coriace du paon qu’elle ne pouvait se putréfier. Le paon symbolisera donc pour le Chrétien l’incorruptibilité de la chair même du Christ, lui qui naquit sans le moindre péché. Puis selon une origine orientale, la queue en éventail du paon s’identifiera par analogie aux cieux étoilés, qui dans la symbolique chrétienne sera comprise comme l’emblème du paradis et de l’immortalité. Immortalité qui conduit à la résurrection de la chair, à la restauration post mortem de tout homme.

Selon saint Antoine de Padoue : « A la résurrection générale, en ce jour où tous les arbres, c’est-à-dire tous les saints commenceront à reverdir, ce paon - qui n’est autre que notre corps – débarrassé des plumes de la mortalité, recevra celles de l’immortalité. » (Sermon pour la férie, 5è ap, la Trinité in Louis Charbonneau-Lassay, Le Bestiaire du Christ). Dans cette miniature, ne voit-on pas trois arbres étincelant de rubis, de saphirs et d’émeraudes ? Arbres qui symbolisent la vie de tout homme sanctifié et dont les fruits précieux se traduisent par ces joyaux.

Au pied de l’arbre, qui se trouve au sommet de l’Oméga « géant », deux têtes de paon sont insérées dans l’entrelacs. L’un penche sa tête et boit le calice où dépassent deux grappes de raisin - fruit de la Vie - pour bien signifier son contenu, l’autre incline sa tête et tient dans son bec l’ « hostie » ronde avec en son milieu une croix rouge dessinée, signe du pain consacré en véritable corps du Christ. Répond à cela deux anges au bas de l’image. Ils tiennent l’ « hostie » et le calice consacrés par l’Esprit Saint sous la forme traditionnelle d’une colombe rattachée à l’Oméga comme un ornement. Le pain et le vin consacrés sont cette Eucharistie célébrée par deux anges qui rappellent son origine céleste dont le Christ lui-même a donné à ses disciples lors de la sainte cène. Ce chant orthodoxe du six juillet dédié à saint Serge de Radonège nous renvoie à ce qui vient d’être dit : « (…) Réjouis-toi, qui fus digne d’avoir les anges pour concélébrants au moment de la Divine Liturgie, réjouis-toi, qui devins alors tout entier comme du feu » (cit. tirée de l’ouvrage de Michel Quenot, Du Dieu-homme à l’homme-dieu). Ne voit-on pas non plus par ces deux paons, l’un buvant à la coupe eucharistique et l’autre consommant l’ « hostie », le caractère double d’emblème d’incorruptibilité de la chair et d’immortalité en buvant le calice du salut en vue du Royaume éternel ? N’est-ce pas ce que tout prêtre, tout comme l’a été saint Serge de Radonège, souhaite au plus profond de son cœur au communiant quand il lui remet l’ « hostie » consacrée en lui disant : « Voici le corps de notre Seigneur Jésus-Christ, qu’il garde ton âme pour la Vie éternelle. Amen ! » Et ce vif souhait du prêtre ne se base-t-il pas sur la promesse du Christ : « Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la Vie éternelle ; et je le ressusciterai au dernier jour ! » (Jn 6, 54). Les deux paons qui se nourrissent et boivent les « espèces consacrées » sont les symboles de l’aspiration de tout chrétien à la Vie éternelle qui est sa suprême espérance.

Symbole de résurrection, le paon est à l’image du Christ sorti victorieux de la mort et dont nous sommes appelés à suivre. Ce paon, qui est ici représentation emblématique du Christ comme le premier des ressuscités et comme le principe de toutes les résurrections antérieures et postérieures à la sienne propre, comme l’homme parfait, juste et saint qui n’est corrompu par aucun vice, donne la possibilité à l’humanité de briller à nouveau de l’éclat varié des vertus à l’image des plumes du paon et de mettre en fuite le « Malin » par sa prière semblable au chant de cet oiseau qui chasse le serpent.

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