samedi 28 mars 2015

Pascal Meier : commentaire sur la Jérusalem céleste



Pascal Meier, la Jérusalem céleste, folio 64.
Tempera, or en feuille, eau de noyer sur papier d'Arches, format : 420 x 420 mm.
Extrait de L'Apocalypse de Jean enluminée (droits réservés).

 " Puis je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et la mer n’était plus. Je vis aussi la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, prête comme une épouse qui s’est parée pour son époux. Et j’entendis une voix forte qui venait du trône, et qui disait : « Voici le tabernacle de Dieu au milieu des hommes ! Il habitera avec eux, et ils seront son peuple ; Dieu lui-même sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux ; la mort ne sera plus, et il n’y aura plus de deuil, ni cri, ni souffrance ; car les premières choses auront disparu ». Celui qui était assis sur le trône dit : «  Je vais renouveler toutes choses ». (Ap 21, 1-5) … et il (un des sept anges) me montra la cité sainte, Jérusalem, qui descendait du ciel, d’auprès de Dieu, resplendissante de la gloire de Dieu. Son éclat était semblable à celui d’une pierre précieuse, d’une pierre de jaspe, transparente comme du cristal. Elle avait une grande et haute muraille, avec douze portes, et sur les portes étaient douze anges, et des noms inscrits, qui sont les noms des douze tributs des enfants d’Israël : à l’orient, trois portes ; au nord, trois portes ; au midi, trois portes ; à l’occident, trois portes. La muraille de la ville avait douze fondations, sur lesquelles étaient douze noms, les noms des douze apôtres de l’agneau. Celui qui me parlait tenait une canne d’or pour mesurer la ville, ses portes et sa muraille. La ville était disposée en carré, et sa longueur était égale à sa largeur. Il mesura la ville avec le roseau ; elle avait douze mille stades ; sa longueur, sa largeur et sa hauteur étaient égales. Il mesura aussi la muraille ; elle avait cent quarante-quatre coudées, mesure d’homme, qui était aussi mesure d’ange. La muraille était bâtie en jaspe, et la ville était d’or pur, semblable à un pur cristal. Les soubassements de la muraille de la ville étaient ornés de pierres précieuses de toute espèce.  (Ap 21, 10-19)… Les douze portes étaient douze perles, chaque porte formée d’une seule perle. Et la place de la ville était en or pur, semblable à un cristal transparent. Je n’y vis point de temple ; car c’est le Seigneur Dieu tout-puissant qui en est le temple, ainsi que l’agneau. La ville n’a pas besoin ni de soleil ni de la lune pour l’éclairer, et l’Agneau est son flambeau. Les nations marcheront à sa lumière, et les rois de la terre y apporteront leur gloire. Ses portes ne se fermeront jamais pendant le jour ; et là, il n’y aura plus de nuit. On y apportera la gloire et les richesses des nations ; il n’y entrera rien de souillé, ni personne qui se livre à l’abomination et au mensonge, mais ceux-là seuls qui sont inscrits dans le livre de vie de l’Agneau. " (Ap 21, 21-27)
L’Apocalypse est au fond un retour inévitable à Dieu qui s’insère dans le silence d’un cœur ouvert à sa révélation ; elle demande finalement l’avènement et le règne de Dieu dans son impératif : « Viens ! » (Maranatha). Et ce qui vient, c’est la vie nouvelle du Ciel, la vie éternelle et abondante donnée par Dieu de tout son amour. Amour qui se traduit par sa présence de lumière qui irradie tout et pénètre jusqu’au cœur des hommes qui demeurent en Lui. Son doux visage est la Jérusalem céleste qui accueille en son sein tout homme nouveau qui renaît en Dieu. Homme nouveau, né du Ciel, né de Dieu et renouvelé par l’Esprit Saint. C’est là où les saints de tous les temps « reposent » pour l’éternité ; où par amour pour Dieu, ils ne cessent d’être en mouvement vers l’Amour inconditionné qui les a éveillés à eux-mêmes. Ils font partie de cette cité ; ils composent cette Jérusalem céleste. Ils ont rejoint les apôtres qui sont les premières pierres précieuses du Temple. Ils font partie intégrante du Temple qu’est Dieu et l’Agneau. Et dans cette création nouvelle, tout le peuple de Dieu est issu du Ciel. Le « monde ancien a disparu » tout comme l’homme ancien a disparu. Alors que « nous tous dont le visage découvert reflète la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en  gloire, par l’Esprit du Seigneur » (II Cor. 3, 18), la gloire qui nous attend dans la demeure du Père échappe à toute description tant ceux et celles qui peuvent contempler sa face sont semblables à Lui, à sa ressemblance, parce qu’ils Le voient tel qu’Il est (cf. Jn 3, 2). Et ce qu’ils voient, c’est eux-mêmes.
Selon le Dr. W. Kreiss, « Dieu se lie à son peuple comme un jeune homme à son épouse. » Bien que l’épouse, la Jérusalem céleste s’est « parée pour son époux » pour lui plaire, c’est Dieu qui lui donne  toute sa beauté, qui l’éclaire par sa grâce sanctifiante et son pardon, qui l’a lavée et purifiée de ses souillures pour la revêtir de sa gloire (cf. Eph. 5, 27).
Fini la mort ainsi que tout cri, toute douleur et toute souffrance. Dieu annonce non ce qu’il aura, mais ce qu’il n’aura plus. Toute larme est comme séchée définitivement et le visage de l’homme se transforme en sourire par la Présence consolatrice et apaisante du Père, tout comme un papa pour ses enfants. De péché, il n’y aura plus ; et tout ce qui est impur sera rejeté au loin de la maison du Seigneur : « Dehors les chiens, les enchanteurs, les impudiques, les meurtriers, les idolâtres et quiconque aime et pratique le mensonge » (Ap 22, 15). Plus rien ne pourra souiller ce que Dieu a recréé. Toute vie se trouve finalement au sein de sa lumière et bénéficie de sa gloire donnée à tous de la même manière. Son amour ne fait pas de différences, le « Tout est en tous » : l’Amour, les amants et l’Aimé ne font qu’un, pour reprendre une parole soufi. C’est la vie que tout homme a toujours désiré tendre au fond de lui-même. Ce Saint des saints qu’est la Jérusalem céleste est cette dimension où Dieu règne et partage son trône avec chacun de nous. Nul besoin de temple, car Dieu est le Temple de tous, et nous sommes le temple de sa Présence.
L’Agneau de Dieu, au centre, en est l’image parfaite et le flambeau qui illumine les cœurs. Et ce que l’ange au roseau mesure, c’est la demeure de l’amour incommensurable de Dieu, c’est la sainteté même de Dieu qui illumine tous les êtres et toutes formes de vie. Chaque perle précieuse, comme posée sur la tête auréolée des apôtres placés devant chaque porte, est signe de leur sainteté intérieure, qui se manifeste extérieurement par l’éclat coloré de leur perle. Chaque perle a ses propriétés qui la distinguent des autres tout comme les qualités spirituelles différenciées de chaque apôtre. Chaque perle, dont la nature est l’incorruptibilité et la luminosité, correspond à un apôtre qui réfracte l’éclat pur de Dieu les rejoignant ainsi dans les profondeurs intimes de leurs âmes. C’est par leur témoignage illuminé par leur perle propre à chacun d’eux que chaque apôtre est une porte ouverte sur Dieu. Pierre décrit par un habit rouge et tenant dans sa main droite la clé qui permet d’ouvrir le Paradis céleste, à l’union d’amour avec le Christ, est associé au jaspe qui est généralement composé de plusieurs couleurs, est dans la miniature en vert foncé, André avec le saphir a une perle jaune et « Judas » avec la calcédoine est de couleur blanche. A la droite de l’image, Simon le Zélote porte une émeraude, Barthélémy une sardoine et Jacques la cornaline. Au bas de l’image et ayant la tête en bas, Jean porte la chrysolite, Philippe le béryl et Thomas la topaze. Enfin à la gauche de l’image, Jacques a la chrysoprase, Mathieu a la jacinthe et Mathias a l’améthyste. Aussi, tous les apôtres détiennent dans une de leurs mains un livre, le livre ouvert sur la vérité qui conduit les hommes à l’amour de Dieu. Témoins de Dieu sur terre, les apôtres sont comme les porte-flambeaux de Dieu dans le Ciel qui ouvrent à tout homme le bonheur d’être parmi les heureux « élus ».
Carrée à sa base, et cubique par sa longueur qui égalait sa largeur, la Nouvelle Jérusalem où au-dessus de ses douze portes dirigées vers les quatre points cardinaux pour recevoir tous les peuples, nations, langues et tribus de la terre se trouvent un ange qui veille, est un pur cristal, « à la fois par sa substance diaphane, incorruptible et lumineuse, et par sa forme. Elle est en fait la « cristallisation », dans l’éternel présent, de tout ce que le devenir – le monde changeant ou temporel – comporte de quintessences impérissables. » (Titus Burckhardt, Symboles, Recueil d’essais, Archè, 1980, p. 30)
Pour tout dire, il n’y a pas de mot assez grand pour décrire pareille vision. C’est à une explosion de couleurs aussi belles les unes que les autres que nous convie Jean. Des couleurs éclairées et surtout traversées par une même lumière tel un vitrail l’est du soleil. C’est à un monde renouvelé, transformé et transfiguré que Dieu nous invite à prendre part ; Il l’espère pour tous, pour chacun de nous, même s’Il paraît le donner de préférence à ceux et à celles qui ont cru en Lui et ont vécu de son amour. La transformation du monde sera semblable à celle de notre corps dans la résurrection. Même si la terre viendrait à disparaître selon l’idée catastrophique qu’on se fait le plus souvent de l’Apocalypse, telle la destruction par le feu, il jaillira hors de cette fournaise comme la création en terre du potier sortant du four la nouvelle création de Dieu. Et si « la mer n’était plus », c’est que l’abîme où furent précipités l’infâme Dragon, l’Antéchrist, la Bête et le faux prophète ne sera plus.  Quand Dieu dit : « C’est fait ! », c’est « toutes choses nouvelles » qui sont faites, dès à présent, depuis que le Christ est mort sur la croix et ressuscité dans la gloire du Père. Tout péché est expié une fois pour toute, la mort est vaincue pour toujours et l’ « enfer » est englouti à tout jamais par l’Amour divin. Enfin l’œuvre de Dieu entre dans son éternité entièrement glorifiée. Le face-à-face nous est dévoilé par une pleine communion avec Dieu dans une intimité si proche que son cœur se bat dans le nôtre. Ce n’est rien d’autre que cela le salut éternel : être amour. C’est cette présence de Dieu qui palpite déjà dans notre cœur en qui s’ouvre à Lui.
La façon d’avoir représenté la Jérusalem céleste se dit : diagrammatique. L’image est volontairement mise à plat, aussi bien la place que les murs et les portes qui constituent cette cité de Dieu. Cette perspective « abstraite » était pourtant familière au lecteur médiéval. Cette représentation de la ville céleste, comme vue d’en haut, aux murs d’enceinte projetés dans le plan horizontal, permet de montrer clairement les douze portes contenant chacune un apôtre. Ce schéma permet également de mettre en évidence la forme carrée de la Jérusalem céleste qui en fait « la quadrature du cycle céleste, ses douze portes correspondent aux douze mois de l’année ainsi qu’aux divisions analogues de cycles plus grands, tels que celui de la précession des équinoxes. » (Titus Burckhardt, Symboles, Recueil d’essais, Archè, 1980, p. 30) Précession des équinoxes qui serait, selon l’astronomie ancienne du monde, en particulier de la Perse, la « mesure-limite » du temps. L’architecture de la Jérusalem céleste ici peinte est empruntée à celle d’Al-Andalus par ses portes en forme de « fer à cheval » dit arc outrepassé. Au centre de la Jérusalem céleste, se détachant sur un sol en damiers  de verts et de bleus différents, allant du turquoise au bleu cobalt et du bleu outremer au vert véronèse constellé de fleurs stylisées rouges et jaunes comme un jardin aux fleurs persistant,  se trouvent l’Agneau de Dieu avec sa croix de victoire, l’ange mesurant l’enceinte de la ville céleste et Jean tenant entre ses mains le livre de la Révélation. Chaque élément de la place est en quelque sorte une nouvelle Jérusalem en réduction, un carré dans un carré plus vaste inscrit dans l’unité divine où se trouve le peuple de Dieu.
Plus une vision qu’un discours, l’image nous renvoie qu’imparfaitement à son prototype. La Jérusalem céleste dépasse toute image d’elle-même, tant la Lumière divine est à la fois son éclairage, sa lumière et sa splendeur ; et tant l’Amour qui l’habite la traverse de part en part.

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